
La voix des lettres
Les livres, plus c'est long, plus c'est bon. Mais qui a le temps de se farcir l'intégrale de Proust aujourd'hui ? Pas vous ? Tant mieux ! La voix des lettres fait (re)découvrir des œuvres très stylées, mais aussi des navets bien famous. Roman ou poésie, auteur classique ou méconnu, il y en a pour tous les goûts. Que ce soit pour se rafraîchir la mémoire, trouver son prochain coup de cœur ou savoir de quoi cause ce bouquin qu'on a pas envie de lire, c'est le bon endroit !
La voix des lettres
04 - A Monseigneur le Dauphin, Jean de La Fontaine
Monseigneur le Dauphin (rien à voir avec sauvez Willie) est le titre de Louis de France, fils de Louis XIV. Si pour vos 7 ans vous avez eu le droit à une BD d'Astérix, pour les siens on lui dédie un recueil, et pas n'importe lequel : les Fables de La Fontaine. Mais qu'est ce que l'ami Jean peut bien avoir à dire au fils du roi soleil ? C'est parti pour la cacedédi du ptit Louis.
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Je chante les Héros dont Esope est le Père,
Troupe de qui l’Histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon Ouvrage, et même les Poissons :
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes.
Je me sers d’Animaux pour instruire les Hommes.
Vous venez d'ecouter les premiers vers de A Monseigneur le Dauphin, de Jean de La Fontaine. Bienvenue dans la voix des lettres, episode 4.
Qui n'a jamais entendu parler des fables de la Fontaine. Certaines ont bercé notre enfance, depuis celles apprises par coeur sur les bancs de l'école primaire jusqu'aux analyses de l'apologue le jour du bac. Mais connaissons nous vraiment les Fables de la Fontaine ? Peut-être n'y a-t-il pas d'oeuvre à la fois si populaire et si méconnue. Ce n'est pas un hasard si l'on retrouve si souvent les Fables entre les mains d'élèves de tout âge. C'est que, dès le départ, l'ambition de la Fontaine est d'éduquer un jeune prince de tout juste 7 ans : le fils du roi soleil, rien que ça. Malgré son jeune âge il porte déjà un titre officiel : Monseigneur le Dauphin. Placée juste avant la première fable, on trouve cette dédicace avec tout le projet de La Fontaine, condensé et résumé en tout juste seize alexandrins.
Je chante les héros dont Ésope est le père,
Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons :
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes.
Je me sers d’animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d’un prince aimé des Cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui, faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d’une plus forte voix
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois.
Je vais t’entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures.
Et, si de t’agréer je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.
Les histoires que va nous conter la Fontaine ne sont, pour la plupart, pas de lui. Le titre original de l'oeuvre est d'ailleurs "Fables choisies et mises en vers par M. de La Fontaine". Il ne s'en cache pas, il chante les heros dont Esope est le pere. Esope est un ecrivain grec a qui on attribue un ensemble de fables en prose en 600 avant Jesus Christ. C'est en grande partie dans les fables d'Esope que La Fontaine va piocher. Il dit son amour de l'apologue à plusieurs reprises dans les Fables. Mais c'est sa prose que je vous propose d'écouter, dans la préface au premier recueil.
MONSEIGNEUR,
S’il y a quelque chose d’ingénieux dans la république des Lettres, on peut dire que c’est la manière dont Ésope a débité sa morale. Il serait véritablement à souhaiter que d’autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des Anciens a jugé qu’ils n’y étaient pas inutiles. J’ose, MONSEIGNEUR, vous en présenter quelques essais. C’est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où l’amusement et les jeux sont permis aux princes ; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L’apparence en est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d’enveloppe à des vérités importantes.
Je ne doute point, MONSEIGNEUR, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables : car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points ? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l’un avec l’autre. La lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui apprend à se connaître sans qu’elle s’aperçoive de cette étude, et tandis qu’elle croit faire toute autre chose.
Le premier recueil des Fables est publié en 1668, soit 2200 ans après Esope. Pour les droits d'auteurs, y a prescription. Il y aura deux autres recueils, l'un publié dix ans plus tard, en 1678 et le dernier en 1693, un an avant la mort de La Fontaine. Cela représente un total de 243 fables partagées en douze livres. Le premier livre tient une place particulière dans nos souvenirs : c'est celui dont sont tirées les fables les plus connues, celles que nous avons apprises étant enfant.
LA CIGALE ET LA FOURMI
La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut4.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
— Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
— Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien dansez maintenant. »
LE CORBEAU ET LE RENARD
Maître 7 Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Et bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. »
À ces mots, le Corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIREAUSSI GROSSE QUE LE BŒUF
Une Grenouille vit un Bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille11
Pour égaler l’animal en grosseur,
Disant : « Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ?
— Nenni12.— M’y voici donc ? — Point du tout. — M’y voilà ?
— Vous n’en approchez point. » La chétive pécore13
S’enfla si bien qu’elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS
Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D’une façon fort civile,
À des reliefs d'ortolans,
Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étaient en train.
À la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
« Achevons tout notre rôt.
— C’est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi :
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de roi ;
Mais rien ne vient m’interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre. »
LE LOUP ET L’AGNEAU
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
— Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson
. — Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
— Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
— Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
— Je n’en ai point. — C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
On retrouve dans chacune de ces cinq fables la recette secrète d'une fable populaire. Les animaux qui y sont mis en scène dépeignent chacun un trait de caractère : la fourmi travailleuse, le renard rusé, voire trompeur, la force du loup ou la faiblesse de l'agneau. Le récit qui anime ces personnages est court et la morale, généralement exposée à la fin de la fable, est simple et explicite. Mais ce n'est pas seulement ca la Fontaine. C'est parfois une fable qui court sur plusieurs pages, des thèmes plus classiques, plusieurs morales entremêlées ou bien aucune digne de ce nom. C'est ce qui en fait pour moi la plus grande et plus belle oeuvre de la litterature francaise. Si je tergiverse a leur sujet c'est que nous aurons tout le temps d'y revenir : toutes les quatre semaines je vous proposerai de découvrir une nouvelle fable et de nous y attarder. Et comme il n'est jamais trop tôt pour relire la Fontaine je vous quitte sur une dernière lecture d'A Monseigneur le Dauphin.
Je chante les héros dont Ésope est le père,
Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons :
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes.
Je me sers d’animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d’un prince aimé des Cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui, faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d’une plus forte voix
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois.
Je vais t’entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures.
Et, si de t’agréer je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.
C'est tout pour aujourd'hui, merci d'avoir ecoute jusqu'a la fin. Si cela vous a plus je vous invite a vous abonner, a partager autour de vous et je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour un nouvel episode de la voix des lettres.